Dans la galerie des «Jeunes ancêtres»
La belle aventure de LS Radio
ou l'imagination au pouvoir
par André Guay*
* L'article
qui suit est basé sur un texte fourni par le signataire et
remanié par la Rédaction d'Antennes. Monsieur Guay, qui se veut
une sorte d'historiographe de la regrettée LS radio, possède une
importante documentation sur le sujet.
L'équipe de
LS-Radio (presque au grand complet selon l'auteur de l'article)
ci-contre, en 1970. Cette photo orne actuellement les murs d'un
estaminet du Vieux Québec où se rencontrent les nostalgiques du
temps de la «Vraie radio».
À l'automne 80, la nouvelle formule de radio initiée par
Michel Trahan sur les ondes de station LS
Radio de Lévis aurait fêté normalement son dixième
anniversaire (1). Née en 1970,
en pleine
Crise d'octobre, dans un petit poste de banlieue (CFLS) à
l'instigation de
Michel Trahan et d'une équipe de personnes
décidées, cette «radio différente», qui se voulait véritablement
au service du public et non à celui de la société marchande ou
de ce qu'il est convenu d'appeler «le Système», fait encore
parler d'elle. Grâce à son dynamisme, LS est devenue l'un de ces
archétypes évocateurs de belles nostalgies et de précurseurs sur
lesquels s'acharne perpétuellement la malédiction des pouvoirs
en place. L'organisateur des Fêtes commémoratives de LS
Radio, André Guay, nous a raconté à sa façon les débuts,
l'apogée et la chute d'une station unique dans les annales
de la radio québécoise.
Vers
la fin de 1970, en quête d'un emploi, un jeune animateur de 26
ans,
Michel Trahan se présente dans ce qu'il appelle
une «petite station de campagne». Il s'agit de CFLS,
à Lévis,
une banlieue qui, face à la ville de Québec, a toujours semblé
vouloir défier les orgueilleuses murailles de la capitale. Après
un mois d'observation, il propose à son patron, Yvon Dufour, une
radio non point «meilleure que les autres», mais «différente».
Face à une radio stéréotypée, abrutissante et limitée dans ses
formules, la station lévisienne pourrait enfin faire des
émissions au service du public et non de l'establishment local.
Le projet est audacieux et, sans plus tarder, la direction
l'accepte.
Michel
Trahan, l'un des pionniers de LS-Radio, en 1980. Les autres
anciens de l'équipe de 1970 sont toujours actifs dans le milieu
mais ont préféré ne pas se faire photographier.
Entouré d'une équipe multidisciplinaire où l'on retrouve
des noms tels que Gilles de Lalonde, André Rhéaume, Gaston
Binet, Henri de Cotret, Jean Desaulniers et autres jeunes lions
du milieu,
Michel Trahan a des ambitions: créer une radio qui
soit à la fois typiquement québécoise, tout en se ménageant une
fenêtre ouverte sur le monde. En quelques semaines seulement,
basée sur une communication radiophonique inédite et une
participation avant-gardiste, la «formule Trahan» fait parler
d'elle, fait même dire au sociologue
Fernand Dumont que «CFLS constitue un exemple de
participation populaire, de rétro-information». Avec ses
rencontres d'auditeurs se retrouvant lors d'activités
collectives, sa cohorte d'animateurs prônant le Beau, la
Justice, la Poésie, la Joie de vivre ou décrivant encore les
efforts du peuple québécois pour affirmer son identité, il y
avait de quoi faire honte aux bavardages émasculés et à la
musiquette insipide de la très grande majorité des stations qui
déversaient et déversent encore, heure après heure, jour après
jour, des camions-citernes d'insignifiances sur une population
captive.
Les réactions ne tardent pas et bientôt les grands
quotidiens, les périodiques, les journaux étudiants témoignent
abondamment de l'échappée LS Radio. Si dans la
Presse et le Devoir on salue la nouvelle formule, dans le
Soleil, l'éloge frise le dithyrambe: huit fois de suite en neuf
jours ce ne sont que louanges pour l'équipe Trahan. La très
sérieuse société Radio-Canada consacre un reportage de vingt
minutes à LS. Bref, c'est la consécration. Cette expérience,
venue peut-être un peu, trop tôt, au mauvais moment (elle se
déroule en pleine Crise d'octobre) était fort audacieuse. Ses
plus chauds partisans affirmaient qu'elle avait dix ans
d'avance. Lorsqu'on écoute ce qui passe aujourd'hui sur les
réseaux privés, on se demande s'ils n'ont pas toujours raison.
Même en 1980, on ne peut se permettre d'aborder l'histoire de la
radio au Québec sans mentionner LS. C'est ainsi que Gilles
Proulx,
dans son dernier livre, affirme que LS fut probablement la
première radio organisée à susciter l'éclosion des postes
communautaires.
Dix ans après, on sollicite encore régulièrement des
témoignages de Michel Trahan, Henri de Cotret
commente encore le «bon vieux temps de LS» sur les ondes de
Radio-Canada et, au Figaro comme au Chantauteuil, deux cafés de
la rue Saint-Jean que fréquentaient assidûment une foule de fans
de la radio lévisienne à Québec, on évoque encore avec beaucoup
de nostalgie «le temps de la vraie radio». Il existe même des
particuliers qui conservent religieusement d'anciens
enregistrements d'émissions, des documents d'époque. La matière
est riche et on attend les chercheurs qui désireraient
approfondir le phénomène.
«Enfin, la
radio québécoise»
La Crise d'octobre fait connaître au Québec les rigueurs de
la
Loi des mesures de guerre. Les médias montréalais, impliqués
malgré eux, deviennent boîtes aux lettres (les méchants diront
«des poubelles du FLQ») et Montréal vit des heures pénibles.
Pendant ce temps, à Lévis, Michel Trahan décrit
ainsi la situation: «Montréal est devenue un pôle négatif,
tandis que nous, ici, nous essayons de rétablir l'équilibre en
devenant un pôle positif». Pour arriver à ce but plutôt ambigu,
il donne à ses animateurs pleine liberté d'expression. Chacun
peut donc «tripper» selon sa personnalité ou sa spécialisation.
Trahan, qui annonce fièrement: «Nous avons enfin une vraie radio
québécoise», souligne que chaque animateur est qualifié dans sa
discipline. Par exemple Gilles de Lalonde fait découvrir la
belle chanson française, celle qui est pratiquement inconnue
ici; André Rhéaume, un étudiant en musique, représente la
génération
Woodstock et tente de sensibiliser les auditeurs aux
nouvelles formes musicales; Gaston Binet, l'animateur du soir,
prolonge au cours de son émission De personne à personne, les
discussions qu'il a pu avoir au cours de la journée.
Peu à peu, LS Radio se définit comme une
radio de communication, même si à l'époque les spécialistes
soutiennent que les vrais échanges ne peuvent être. Réalisés
qu'au sein de petits groupes. On veut justement prouver le
contraire, faire valoir que la communication peut tout aussi
bien se matérialiser dans un grand rassemblement. Et on le
prouvera! L'un des idéaux les plus tenaces depuis l'Antiquité,
le Beau, est remis à l'honneur. À ce propos, le poète Jean
Royer, déclare: «LS-Radio veut animer le Beau qu'ignore la radio
privée, axée sur les seuls intérêts commerciaux. Il est étonnant
que LS soit né à un moment douloureux pour le Québec. Alors
qu'on s'attendait à un long hiver silencieux, on découvre le
Beau. On veut retrouver tout ce qui a fait que les gens se
retrouvent en beauté...».
L'auditoire de LS Radio devient de ce fait
très diversifié, quoiqu'on attribue souvent à cette station de
radio collective un public plutôt marginal. Le journaliste
Jacques Dumais, du Soleil, qui suivait de près l'initiative de
l'équipe Trahan, écrit: «LS Radio
délaissait la méthode de tâtonnement radiophonique pour
s'engager à fond dans la recherche des auditoires marginaux,
ceux que la radio conventionnelle flatte sans vraiment toucher,
les 16-18-25, une génération oubliée dans cette masse anonyme
que convoitent les firmes de sondage d'opinion pour le bon
plaisir des commanditaires.»
Pour sa part, Québec Presse écrit: «LS Radio
personnifie la radio qui parle au peuple. Ainsi l'animateur vit
avec les auditeurs sa bonne ou sa mauvaise humeur, sa
satisfaction, son mécontentement. On ne refoule rien et, sans
trop s'en rendre compte, on joue le jeu, on devient partie du
dialogue. S'il vient à l'animateur l'idée de faire tourner du
Vivaldi à trois heures le Vendredi saint, il le fait librement.
Et s'il y avait tant de justesse dans les propos des animateurs,
c'est qu'il existait à LS un climat d'échange, d'ouverture sur
l'extérieur, de perméabilité qui faisait que tout événement,
gai, ou triste se ressentait aussi bien dans la musique que dans
les commentaires.
Du
Miron dans la mercerie
L'expérience de l'avocat montréalais et globe-trotter Paul
Unterberg avec Gilles de Lalonde illustre bien l'atmosphère
d'improvisation et de souplesse qui existait alors dans la
station. Il la rapporte ainsi: «Je présumais que ce Gilles de
Lalonde avait lu mes articles sur le Pakistan dans Point de
Mire, car je ne le connaissais pas et n'avais jamais entendu
parler de LS Radio (...) J'ai fini par rejoindre
de Lalonde et, quand je l'ai eu au bout du fil, il m'a demandé
si je ne pouvais pas faire un tour à Québec pour passer sur les
ondes de son poste. Je lui ai répondu que je n'avais pas envie
de me taper quatre heures de route et lui proposai de lui
envoyer une bande sonore par le courrier. (..,) de Lalonde m'a
répondu que je n'avais probablement pas de bandes assez longues
pour ça.»
«Je peux t'accorder dix minutes, si tu veux...» déclara Me
Unterberg à Gilles de Lalonde. «Je ne crois malheureusement pas
que cela fournirait à nos auditeurs l'information à laquelle ils
ont droit», rétorqua l'animateur. Lorsque son interlocuteur lui
demanda combien de temps il désirait, de Lalonde répondit: «Je
ne sais pas... On pourrait commencer à discuter et lorsque nos
auditeurs ou nous-mêmes serons fatigués, on s'arrêtera...» C'est
ainsi que, de la manière la plus détendue, Paul Unterberg eut
droit à quatre heures et non seulement sur le Pakistan, mais
aussi sur la révolution au Bengladesh. Entre les commentaires,
on insérait de la musique pakistanaise, du jazz, des appels
provenant du public, des bulletins de nouvelles. Émerveillé,
l'invité rapporte dans son article: «Les appels des auditeurs ne
recevaient pas ces réponses précipitées et minutées dont
souffrent trop souvent les émissions du genre. Toute cette
conversation faisait honneur à l'enseigne de ce poste et
respectait la communication, la participation!»
Il va sans dire que lorsque la formule accrochait ou
oubliait l'horaire, on laissait de côté les messages
publicitaires ou encore faisait-on habilement de l'humour à
leurs dépens. LS se révéla probablement la seule station au
Québec où le commanditaire ne fut jamais roi. Gilles de Lalonde
aime raconter qu'un jour on lui demande de faire de la publicité
en direct de chez un commerçant de la région. Il n'aimait guère
l'idée, mais on lui promit que cela ne se reproduirait pas. Une
fois sur les lieux, un auditeur lui apporta un recueil de poèmes
de
Gaston Miron qu'il lut en direct. Plusieurs curieux se
rendirent alors à la boutique du commerçant en question - une
mercerie - pour rencontrer celui qui laissait de côté le
verbiage publicitaire pour la poésie. Dans une certaine mesure,
il s'agissait d'un massacre de la commandite mais, malgré tout,
les animateurs soutiennent encore qu'en dépit de la formule les
ventes augmentaient à un point tel que les espérances de
rentabilité de la station inquiétaient les puissants concurrents
de la région.
Un journal étudiant commente ainsi cette politique
publicitaire originale: «Au lieu de dire qu'il faut faire des
émissions cool pour gagner de l'argent, LS Radio
se dit que pour continuer à faire des émissions auxquelles elle
croit, il faut un minimum de possibilités financières. Accepter
de faire de la publicité n'est pas un compromis, mais une
victoire; c'est l'économie qui s'intègre à l'homme». Les
auditeurs ne reprochent pas à la station de faire de la
publicité, mais lui en voudraient d'en produire une de mauvaise
qualité, qui ne cadre pas avec une radio de communication.
Malheureusement, au fur et à mesure que LS Radio
avance, un fossé meurtrier se creuse entre l'équipe d'animation
et celles des ventes.
Une station
subversive?
À la différence des autres stations, dont la contribution à
la culture se limite à faire connaître aux citoyens l'heure, la
météo ou les sacro-saints potinages sportifs, LS veut redonner
aux auditeurs un statut d' êtres pensants. «Le Québec parle, le
monde écoute», lance Trahan sur les ondes. Le Québec, les gens
de LS l'expriment comme ils le perçoivent, dans son combat
quotidien pour défendre sa dignité et son authenticité. Ils
l'expriment avec amour, parfois avec jalousie, jamais avec
chauvinisme. Qu'on pense à cet auditeur qui, ayant entendu le
poème «L'homme
rapaillé» de Miron, s'adresse à la station pour en avoir une
copie, croyant qu'il s'agissait là de l'éditorial du jour!
Trahan déclare: «Nous ne sommes ni de droite, ni de gauche. Nous
voulons tout simplement orchestrer, par une radio qui cesse de
dire des sottises, un mouvement d'ensemble qui soit cohérent,
qui touche le cœur humain».
Que dire d'une telle déclaration en ondes: «Tu écoutes une
radio propre, alors lave-toi»? Enfantillage ou volonté de
réveiller la population? La méthode est un peu brutale mais n'en
est pas moins originale. Que dire aussi de la surprise générale
lorsqu'on s'en prend ouvertement aux Premiers ministres Pierre
Elliot-Trudeau et Robert Bourassa en dénonçant la Loi des
mesures de guerre, en diffusant l'Internationale, hymne
communiste dont la diffusion est interdite dans la plupart des
pays occidentaux? De là à sauter aux conclusions hâtives, il n'y
a qu'un pas, que la droite rétrograde de la ville de Champlain
s'empresse de franchir.
Il faut dire que l'équipe de LS se veut provocatrice et que
l'interdit l'attire. Les journaux commencent à parler de «Radio
Liberté» et, malgré les apparences, on transcende la politique.
Entre des extraits d'un discours du général de Gaulle, on glisse
un poème de Jean Genêt (interdit sur les ondes françaises) ou
une pièce de Theodorakis (interdit en Grèce par la clique des
Colonels). Au moment où le Premier ministre Bourassa lance sa
politique de création de cent mille emplois (Les cent mille
«positions»), Gilles de Lalonde décide de commencer son émission
en lisant chaque jour au micro les noms de cinquante nouveaux
chômeurs...
LS Radio saisit non seulement l'interdit mais
désire faire le contrepoids dans la balance en défendant
certains dossiers brûlants ou en donnant une longueur d'avance à
certaines prises de position pour le mieux-être de la
communauté. On peut distinguer une nette orientation éducative
des ondes. Ainsi on s'engage à défendre, en dépit d'une campagne
de dénigrement par Roger Lemelin, la Murale du Grand Théâtre de
Québec où le sculpteur Jordi Bonet a inscrit cette phrase-cri de
Claude Péloquin: «Vous êtes pas écœurés de mourir bande de
caves? C'est assez!» Le magazine Québec Science alimente en
textes l'équipe de LS, ce qui répond à la préoccupation
écologique des animateurs. Jocelyne Dugas, fondatrice du
magazine, se souvient entre autres de la lecture de son
éditorial «II est encore temps...» A l'époque dire: «Donnons à
nos jeunes des outils et non des armes» était plus qu'osé. Il y
a dix ans, pareille initiative radiophonique plaçait LS
Radio dans une catégorie quasi subversive.
LS Radio bouleverse le milieu. Des
représentants de stations de radio de Montréal, de
Drummondville, du bas du Fleuve et même de l'Acadie, viennent
s'entretenir avec ses permanents pour scruter les possibilités
de la radio de demain. Des professeurs du département de
journalisme de l'Université Laval invitent Trahan à discuter de
sa nouvelle formule radiophonique. Les étudiants de cette même
université organisent un débat-midi par étudiants interposés,
opposant Michel Trahan et Michel Montpetit de CJRP
(la station MA de radio Mutuel à Québec).
La renommée de la station déborde les frontières du Québec.
Un quotidien de Vancouver lui consacre un éloquent reportage. Le
caractère universel de la formule Trahan captive même le Service
de radiodiffusion de l'Organisation des Nations Unies. En avril
1971, à la suite de la visite à Québec de l'ambassadeur d'Haïti,
qui exprime sur les ondes de LS les angoisses des Noirs du
Tiers-Monde, Michel Trahan est invité à l'ONU en
compagnie d'André Rhéaume.
Pas de
confessionnal sur ondes
LS est accessible au plus grand nombre possible de
personnes. À peu près n'importe qui peut composer l'un des deux
numéros de la station et se retrouver en ondes. D'ailleurs,
l'appel n'a pas besoin de se rapporter à l'émission en cours. On
peut tout bonnement avoir envie de communiquer, d'exprimer ses
commentaires sur l'actualité ou encore avoir besoin d'être
dépanné. Animateurs et auditeurs tiennent à faire valoir ces
qualités bien québécoises que sont la cordialité, l'hospitalité,
voire la simple charité chrétienne. C'est ainsi que nombre de
jeunes drogués ne font pas l'objet d'opprobre ou de risée et
sont ramenés d'un «bad trip» par les animateurs qui prennent le
temps de leur parler tout en leur diffusant de la musique douce.
Des déracinés trouvent un gîte pour la nuit chez des auditeurs.
Des automobilistes proposent régulièrement de dépanner des
voyageurs impécunieux.
Le téléphone devient le principal outil de cette
participation et les auditeurs l'utilisent intelligemment.
LS Radio
devient une «ligne ouverte» permanente, «24 heures sur 24». Ceci
ne veut pas dire que les auditeurs appellent seulement pour le
plaisir d'exposer leurs petits problèmes personnels. Si
l'animateur vous trouve intéressant, si vous avez un sujet qui
peut se révéler intéressant pour l'ensemble de la communauté, on
vous invite à en parler sur les ondes. On se défend bien de
faire du commérage comme à la plupart des «lignes ouvertes», ces
inquiétants confessionnaux sur ondes où l'on expose, quelquefois
de façon malsaine, ses problèmes affectifs ou sexuels, ensuite
jetés en pâture à la curiosité du grand public par des
psychologues improvisés. La liberté d'expression est poussée au
maximum à LS. C'est ainsi qu'un jour, Gilles de Lalonde n'hésite
pas à faire entendre la célèbre Madame Belley, personnage
excentrique et haut en couleur, véritable «Folle de Chaillot»
locale, dont la sagesse et le gros bon sens n'avaient d'égal que
l'extravagance de ses toilettes.
La série des
«LS»
«Tout le monde a quelque chose à dire et à apprendre aux
autres et celui qui écoute LS n'est plus pareil: il a peut-être
appris que d'autres pensent comme lui» souligne l'omniprésent
Jean Royer qui invite, au micro, de LS les gens «à faire leur
radio eux-mêmes», Cette participation dépasse largement les
appels téléphoniques. Par exemple, l'animateur qui désirait
faire entendre un disque non encore disponible ou quelque
respectable antiquité n'avait qu'à lancer un appel aux auditeurs
qui, quelquefois, parcouraient plus de 30km en voiture ou
empruntaient le traversier de Lévis pour apporter, tel le saint
sacrement, le précieux enregistrement à la station. Ces exploits
ne représentaient toutefois que la pointe de l'iceberg de la
participation; il y avait aussi les LS Beaux Dimanches qui
déplaçaient des centaines et parfois des milliers de Québécois.
Né d'une improvisation à la suite d'appels de trois adeptes de
la raquette se cherchant des copains, le premier L S Beaux
Dimanches regroupa quelque 400 personnes à l'île d'Orléans. Il
suffisait de récidiver...
C'est ainsi que succédèrent LS-Quilles, L S-Chercheurs d'or
(revivre la ruée vers l'or en explorant une mine désaffectée à
St-Simon, dans la Beauce), LS-Pommes, LS-Cochonnailles (un
fermier invite tout le monde à manger du porc), LS-Sucres, LS-
Champignons (grande cueillette dans les bois avec un mycologue),
LS-Déjeuner sur l'herbe (le vin, le pain et le fromage sont
gracieusement offerts par des compagnies de la région), LS-Eau
de Pâques (tout le monde se rend sur la Terrasse de Québec en
compagnie de Madame Belley déguisée en œuf de Pâques), LS-Cinéma
(week-end pendant lequel 4 000 personnes visionnant des films
québécois à l'université Laval), LS-Baignade (service d'autobus
et accès à la plage gratuits), LS-Motoneige, LS-Patinage, LS-
Terrasse (promenade sur la terrasse à Québec), LS-Âge d'or,
LS-Solitude, LS-Natation, LS-Concert (tous apportent un
instrument), LS-Mouton (dégustation), LS-Glissade (Valcartier
ouvre gratuitement ses pentes)... Et le fameux LS-Rencontre:
pendant une semaine, on ouvre une ligne téléphonique pour les
filles et une autre pour les garçons. Chacun se représente en
donnant un aperçu de ses goûts de sa personnalité et de la façon
dont il sera habillé pour une éventuelle rencontre sur les
traversiers entre Québec et Lévis. Le dimanche venu, on voit des
gens se faire signe d'un traversier à l'autre, tandis que
certains attendent leur partenaire éventuel dans les salles
d'attente dans l'espoir de pouvoir le retrouver sur l'autre
bateau. Gilles de Lalonde précise qu'il a même assisté à un
mariage consécutif à ce LS-Beau Dimanche.
Ceux et celles qui ont participé au LS-Bain d'algues
marines s'en souviennent encore. Un jour, un groupe d'handicapés
se présente à la station et demande à Gilles de Lalonde s'il
accepterait de leur donner un coup de main en faisant, à titre
gracieux, la promotion d'un produit aux algues marines qu’il
utilisait pour renflouer leur caisse d'entraide. Le «Sénateur» -
c'était le surnom de De Lalonde - passa à l'action: il invita
ses auditeurs et auditrices à prendre des bains aux algues en
tenant des propos sensuels, en faisant tourner de la musique de
circonstance, en prenant des appels d'auditeurs atteignant -
présumément - un état d'extase avancé. L'émission ayant lieu un
samedi soir, on devine son effet décrispant et sa popularité.
Une autre fois, c'est l'exposition LS-Beaux dimanches Belley
d'Amour: les nombreux costumes de l'excentrique Madame Belley
prennent place au Musée du Québec dans le cadre du Carnaval et
attirent les foules en ce temple de la culture.
Fait à signaler: tous les lieux de ces rencontres
improvisées restent aussi propres après le départ des convives
qu'avant leur arrivée. Pas un papier gras, pas un mégot de
cigarette ne sont oubliés. Au LS-Déjeuner sur l'herbe, par
exemple, les gardiens du parc Montmorency, étonnés de la
conduite exemplaire des pique-niqueurs, félicitent l'équipe de
LS qui a su si bien insuffler aux participants un tel esprit
écologique. Il faut préciser que ces fêtes, qui s'appuient sur
le principe qui veut que les meilleures choses de l'existence
soient souvent gratuites, sont très différentes de ces réunions
populacières où les gens laissent derrière eux des monceaux
d'immondices ou se livrent au vandalisme.
Si la presse écrite et audiovisuelle faisait constamment
écho à ces participations originales, ce fut sans doute la
Nuitte de la couleur qui fit le plus parler d'elle. Un peu avant
le Carnaval de Québec, un groupe d'étudiants du CEGEP de
Limoilou, sans doute en réaction contre cette manifestation
qu'ils jugeaient commerciale à outrance, proposa à de Lalonde
d'organiser une sorte de fête parallèle qui éleverait les
esprits tout en demeurant résolument populaire. C'est alors
qu'on suggéra une «Nuit de la couleur et de la poésie» où le
Carnaval, si décrié par certains, pourrait néanmoins s'insérer.
LS Radio organise une grande réunion publique des
États généraux des arts à Québec pour mettre au point la formule
de cette manifestation rebaptisée «La nuit des peintres et de la
poésie». Il est entendu que des ateliers seront ouverts, une
semaine avant l'explosion de la couleur, afin de permettre la
préparation du matériel: dessins, mobiles, fleurs de papier. Ici
encore les commerces de la région participent à la fête. Une
entreprise fournit une centaine de gallons de peinture, une
autre, des panneaux de contreplaqué. Dans les écoles, des
professeurs invitent les jeunes à dessiner. Michel Trahan
déclare: «C'est peut être la première fois qu'on demande aux
gens de choisir le Carnaval qu'ils désirent, et ça marche ».
La «Nuitte de
la couleur»
La fameuse nuit impliqua quelques milliers de personnes.
Elle est toujours considérée comme l'une des plus spectaculaires
participations suscitées par l'équipe de la station de Lévis.
Québec est coloré: la gare du Palais perd sa grisaille, la gare
centrale d'autobus est bariolée sous l'oeil amusé des voyageurs,
Place de l'Hôtel de ville rêve de poésie et de chant avec ses
centaines de panneaux illustrés, Place d'Armes voit ses bancs de
neige colorés au «Cool Aid» et des fleurs de papier pousser aux
branches de ses arbres, Place royale, avec ses toits peints,
devient une grande mosaïque... Partout, dans le Vieux Québec,
les poteaux de téléphone s'habillent d'œuvres de peintres et de
poètes. En ondes, pendant ce temps, de minuit à six heures du
matin, tout en maintenant la communication entre «les
travailleurs de la fête», des poètes tels que Pierre Morency,
Jean-Paul Filion, Jean Royer, Robert Tremblay, Suzanne Paradis
et Raoul Duguay accompagnés de plusieurs musiciens poursuivent
une «jam session» pour donner à cet événement sa vraie
dimension. Besoin d'un marteau, d'un camion, de peinture, de
contreplaqué? L'équipe transmet la requête sur-le-champ et,
comme par miracle, ce matériel arrive au bon endroit. Rarement
la vieille Capitale, si réservée d'habitude, si fonctionnarisée,
connut-elle semblable débordement de joie. Tels des chamanes ou
des prêtres Vaudou, les animateurs de LS menèrent, une aigre
nuit d'hiver, leurs ouailles vers les verts pâturages de la
participation populaire.
Après avoir ainsi orchestré ce phénoménal succès, les
animateurs de LS décidèrent de récidiver en organisant une fête
spéciale pour la Saint-Jean Baptiste. Afin d'éviter que cette
initiative ne devienne, dans l'optique des stations concurrentes
de plus en plus hargneuses, un autre «gadget», une autre
«bébelle LS», on impliqua sept personnes dont cinq animateurs de
radio et un journaliste en provenance des médias suivants: CBV,
CHRC, CKCV, CJRP,
LS Radio, l'Action. C'est au Galendor, où se
trouve actuellement le Théâtre de l'Île d'Orléans, que se
déroula cette nouvelle Nuit de la poésie. Le 23 juin, une
quarantaine de poètes - les Miron, Langevin, Préfontaine, Godin,
Duguay - et une dizaine de milliers de personnes se mirent de la
partie. Dès 17 heures, on dut fermer le pont de l'Île. Jazz,
folklore, spectacles de chansonniers, saynettes alternent devant
un auditoire électrisé qui, le 24 juin, déborde le campus de
l'Université Laval où l'on dénombre 30 000 personnes.
Aujourd'hui Denise Maltais, membre de la Fête nationale des
Québécois, ancienne coordonnatrice du «bal à l'huile à l'Île
d'Orléans», affirme que c'est bien LS Radio qui
fut à l'origine de ce qu'il est convenu d'appeler «Les nouvelles
Fêtes de la Saint-Jean» et qu'il faut voir dans cette station la
première radio coopérative du Québec.
La mise au
pas
Mais, en pleine apogée, la fusée LS a des ratés. Dans le
Soleil du 7 août 1971 on peut lire: «Sur les ondes de LS
Radio, silence de Michel Trahan. Rumeurs
de départ. Rumeurs de retour possible... non confirmées par le
directeur de la station Yvon Dufour, Absent. Il semble bien
maintenant que le retour du réanimateur de
LS Radio soit sans appel. Il a remis sa démission
comme directeur des programmes et comme animateur à la station
de Lévis.»
Dans les autres journaux, les titres ne sont pas moins
explicites: « Bombe dans le milieu radiophonique! Michel
Trahan a quitté LS Radio », «LS
Radio serait achetée par Power Corporation », «La
faillite de la participation », «L S Radio: la mise au pas », «L
S-Récupération », «À Québec, la radio de demain est Morte», «La
magnifique expérience de LS Radio est bien
terminée », «Requiem pour L S Radio: le beau rêve a totalement
sombré ».
En fait, que s'est-il passé? Pour avoir certains éléments
de réponse on ne peut guère faire appel qu'aux journalistes qui
s'entendent pour dire que la disparition de ce que beaucoup de
communicateurs appelaient «la radio de demain» fut
principalement provoquée par une rupture fatale entre l'équipe
d'animation et celle des vendeurs d'annonces. Rapportant les
propos issus d'une table ronde organisée en juillet 1971, un
journaliste du Soleil souligne que les participants avaient
évoqué les difficultés de réalisation d'une bonne programmation
lorsqu'elle était, selon leurs propres termes, «assujettie à des
normes fondées sur le caractère commercial de l'exploitation des
ondes... normes qui permettent et compromettent, dans les
limites strictes de règlements valables pour tous, la menée de
tentatives nouvelles...».
Le journaliste en question, Jean Giroux, précise que les
animateurs dénoncent le climat pour le moins bizarre qui règne à
LS Radio: disques rayés volontairement par de
mystérieux vandales, mémos arbitraires, menaces proférées à
l'endroit des animateurs, mépris des représentants, absence
totale de communication entre les artisans de LS et le service
de nouvelles. Il ya en effet, mille moyens de pratiquer une
politique abrasive lorsqu'on tient à se débarrasser de personnes
qui dérangent. Ainsi, des œuvres comme «Le petit Prince», de
Saint-Exupéry étaient ouvertement qualifiées de «niaiseries»,
les chansonniers québécois un tant soit peu engagés étiquetés
«extrémistes» et certains employés de LS écoutaient
ostensiblement les stations concurrentes. Toujours selon Jean
Giroux, la radio de l'imagination commença à s'éteindre au
printemps après que les publicitaires eurent découvert un
nouveau marché et les directeurs, de nouvelles sources
financières. A cette époque, seul Gilles de Lalonde essaie de
poursuivre son travail d'animateur. Il abandonne toutefois son
poste à l'automne en affirmant: «LS Radio devient
quétaine.» Dans un certain rapport «Z», (Rapport préliminaire du
groupe d'étude en communication au Comité d'orientation. Québec,
le 19 novembre 1971. Ce projet prit corps grâce à un protocole
d'entente intervenu entre le ministère des Communications du
Québec et l'Université du Québec) qui réunit les premières
conclusions d'un groupe d'étude formé au ministère des
Communications au début de septembre 1971 en vue de
l'implantation d'une radio éducative au Québec et dont le
chargé de projet est l'ubiquitaire Jean Royer, on lit: «L'échec
de CFLS, c'est l'histoire d'une entreprise privée de petite
dimension et aux structures d'autorité et d'organisation
traditionnelles qui a voulu traiter un produit de nature
fondamentalement nouvelle sans consentir aux ajustements
nécessaires.
Dans ce groupe, Michel Trahan et trois autres
ex-animateurs de la défunte équipe de LS Radio
déposent un rapport minoritaire intitulé: «Vos cœurs connaissent
en silence les secrets des jours et des nuits. Mais vos oreilles
espèrent entendre l'écho de la connaissance de votre cœur». Sur
la deuxième page: une seule phrase: «Peut-être pour la suite...»
Ce document, comme des milliers d'autres, accumule aujourd'hui
la poussière dans les archives de l'État.
Dix ans après, Michel Trahan affirme que s'il
devait y avoir une suite à cette seule radio québécoise de
l'histoire, ce ne serait pas un deuxième LS, car les temps
changent. Il constate que l'animation se débilite partout au
Québec, que la radio se dépersonnalise, que la diffusion de nuit
se centralise à Montréal, et surtout, que Radio Québec ne fait
pas de radio et utilise donc une fausse appellation. Il propose
que cette société d'État consacre un infime partie de son budget
à la radio et propose également qu'on écrive une fois pour
toutes l'histoire de la radio au Québec...
Mais ce qui semble le plus probable après dix ans d'oubli
est que la formule d'une radio typiquement québécoise et
universelle réside sans aucun doute chez ceux qui ont déjà
l'équipement nécessaire, soit les stations communautaires. La
lecture du Rapport Z donne envie de refaire une radio québécoise
enfin ouverte à ses auditeurs. Quoique utopique à maints égards,
ce rapport demeure une Bible d'inspiration et la meilleure
incitation pour redonner à notre jeunesse l'espoir d'un
renouveau des ondes et prouver que la radio au Québec peut non
seulement survivre mais exploser!
Serge-André Guay
Septembre 1980
* * *
Notes : Lors de la réécriture de mon texte, la direction d'Antenne a commis une erreur
au sujet de l'événement
souligné par cet article. Le texte publié se lisait comme
suit : «À l'automne 80, la station LS Radio, de Lévis aurait fêté
normalement son dixième anniversaire». Or, ce n'est pas la station elle-même qui
aurait fêté son dixième anniversaire en 1980 mais la formule radiophonique
initiée par Michel Trahan sur les ondes de la station. CFLS est
entrée en ondes en décembre 1967. Retour au
texte
Voir aussi :
Entrevue exclusive avec Michel Trahan et Gaston
Binet à l'occasion du quarantième anniversaire de la
belle aventure de LS-Radio
* * *
Michel Trahan et Serge-André Guay
à l'été 2004 à Québec